JOURNAL DE BORD DES ATELIERS SOCIOLINGUISTIQUES. MAISON CITOYENNE MAISON DE QUARTIER EST. ROMANS SUR ISERE, DROME.

mercredi 22 janvier 2014

femmes-fleurs en relaxation.

Je vais vous dire une chose : c'est quand elles créent avec des couleurs, du papier, de la colle et des pinceaux que je les trouve le plus heureuses, au final, ces dames.

Loin de la frustration de ne pas y arriver en français.
En atelier sociolinguistique, on entend la sérénade :
"La tête elle est vide"
"Parti tout parti"
"Je suis pas là"
" y'a rien là dedans" ( la tête)

etc etc

Quand on sort des crayons, des couleurs, on est dans une autre façon de se parler, de se considérer.
Au début elles doutent mais à la fin, la satisfaction est là. On ne fait pas de comparaison avec autre chose..."je ne sais pas le français, lire non" " on est pas allées à l'école"

On part de ce qui est, tout est nouveau et inattendu, même si on a parfois honte parce que c'est "comme les enfants".
GRRRR. Comptez sur moi pour déjouer ces fadaises. Je ne suis pas pour une société où seuls les enfants ont la possibilité, et la reconnaissance en retour, de peindre et de dessiner ! Ah ça non.

 Lundi et mardi nous avons réalisé un collage-peinture pour remercier Cathy, la prof de gym douce.
Mardi, dernière séance.
Chacune a offert sa femme-fleur à Cathy.
Ce fut un beau moment.

J'aime qu'on formalise les bonheurs du jour
J'aime qu'on dise quand on aime et qu'on est content.
Les femmes des ateliers aussi, elles sont très sensibles aux "petites attentions".



Au bout des deux heures de travail, lundi, chacune a déposé sa femme-fleur sur une table pour laisser sécher jusqu'au lendemain

Déjà elles étaient "mordues", ces femmes-fleurs étaient leur poupée de bien-être, une femme relaxée qui respire, comme durant le cours de gym


(Mon appareil photo m'a lâché ( batterie) au bout de la deuxième photo...Je me suis rabattue sur celui de la structure au flash mal venu...)


Le mardi, elles se sont penchées sur la table, sur leur petite fée qui dormait couverte de vêtements fleuri. Calme.

Elles leur ont parlé
" Alors madame, comment ça va toi ?"

" Elle est où ma dame ?"
Affolées de ne pas retrouver leur fillette-fleur

- Mais si elle est là regarde !

- Ah madame ! Tu as bien dormi ?

Je ne m'attendais pas à une telle appropriation ni à ce jeu de rôle. Que j'ai trouvé vraiment touchant, car ce collage c'était l'image du bien -être.
Je leur disais " comme quand vous vous détentez pendant le cours de gym, vous savez ce qu'elle dit Cathy : on se fait DU BIEN, on prend SON TEMPS"

Je leur ai dit
"On respire comme une fleur qui s'ouvre, ça fait comme un jardin dans tout le corps"





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samedi 11 janvier 2014

On ne prend pas les mêmes et on fait différemment

Voilà, j'ai démarré les ateliers sociolinguistiques avec deux groupes, un groupe le matin un autre l'après-midi.
Avec les dames de l'après-midi, nous referons des cartes à envoyer.
Neuf amis ( créatifs !) se sont engagés à renvoyer une carte personnalisée en retour de nos courriers.
Un réseau d'art postal  va se créer entre janvier et juin 2014.

Nous essaierons d'envoyer trois cartes dans ce laps de temps.
Je publierai ici les créations.


Entre temps je vais me servir de ce blog pour noter "les pépites" au fil des séances :

Ce que disent les dames de leurs vies, de leurs apprentissages, et ce que cela m'apprend. 
Comment nous pouvons nous en servir pour proposer des activités, des formes d'apprentissages linguistiques et socioculturels.


Postulats de départ, pour ceux qui ne connaissent pas le sujet.

Pour l'apprenant , apprendre une langue c'est vivre avec, autant qu'on le peut. 

Pour le formateur, faire apprendre une langue c'est la rendre vivante et adaptée aux besoins de chacun.

Passer de la langue maternelle à une langue étrangère, celle du pays où l'on vit, c'est accepter de vivre dans ce pays, l'aimer suffisamment pour endosser ses mots et ses phrases et comprendre les registres de langage ( comment parle-t-on selon les lieux, les gens et les circonstances)

Apprendre une langue nouvelle est un immense effort d'adaptation sur tous les plans :

- intellectuel et cognitif : 

apprendre la langue formellement / lexique, grammaire...
être capable de s'ajuster, de modifier ses attitudes de communication

- émotionnel : être capable de laisser derrière soi sa langue maternelle, un pan de sa vie, de sa famille, ...

- social : vouloir communiquer avec des personnes différentes de soi, aller vers eux, ne pas avoir peur

et bien d'autres choses...


Maintenant, voyons concrètement....
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Les "pépites" / points pertinents abordés cette semaine et qui font TILT

- En cours de gym douce.

La "prof"parle de l'importance de marcher, mais pas " pour faire les courses" ( mime un dos tordu qui porte un cabas tout d'un côté). non, marcher les mains dans les poches pour marcher.

réponses : Non.
"Ah non, je sors juste pour les courses"
"Non, non, non moi à la maison sur le canapé c'est tout. pas sortir."

--> Quand on emmène les dames se balader ( ville, forêt, tourisme,...) elles sont heureuses. C'est une bouffée d'air et d'autonomie. Une bouffée de liberté, mentale et corporelle. Elles sont alors ouvertes à toutes les découvertes.

- "cours" de géographie. La France et ses régions.

Sur la carte, il y a une petite chose dans l'eau en bas, c'est quoi..?
.....La Corse.....

" Mais c'est pas la France si ? J'y suis allée et j'entends pas, je comprends pas qu'est ce qu'ils disent, c'est du français ou c'est pas du français ?"

Je leur ai expliqué la France d'il y a cent ans. Les régions et leurs langues : breton, corse, ch'ti, occitan...
Puis la volonté d'une école obligatoire pour tous jusqu'à 16 ans et donc la même école pour tous et l'obligation du français.
L'écolier parlait une langue à l'école et une autre à la maison, grands parents et parents pratiquant la langue locale ( vernaculaire).

Sourires, soulagements... " Ah mais c'est comme nous ! " " Comme nous !!"
" A l'école parle français, à la maison arabe".

....Oui, la langue française n'est pas pratiquée en dehors des ateliers.

C'est un lourd paradoxe, un très grand frein dans nos ateliers.
Si on s'en tenait à une logique sociolinguistique, on pourrait dire que c'est peine perdue.
Une langue non pratiquée est une langue qu'on ne mémorise pas.

Idem le matin, les dames, plus âgées savent très bien expliquer

" Ici la tête marche, dehors tout parti". "Ici on garde dans la tête, on sort, Pffft, il part tout"

Oui, c'est comme ça...

Les postulats indiqués dans cet article, se basent sur une langue qu'on pratiquera, qu'on pourra faire vivre dans son quotidien.
Ce n'est pas la réalité des femmes avec lesquelles je travaille. Elles pratiquent leur langue maternelle, elles vivent avec. C'est tout à fait naturel, partout dans le monde c'est ainsi. Il faut en être obligé pour pratiquer une langue étrangère. Dès qu'on peut se contenter de notre langue maternelle, on le fait. ( Je ne parle pas de personnes autonomes très scolarisées, avec un potentiel intellectuel favorisant de multiples apprentissages, linguistiques entre autres).

Dans les ateliers c'est surtout " l'idée d'apprendre le français" qui prédomine, plus que l'apprentissage du français. Les femmes qui participent, majoritairement, ne sont pas allées à l'école, n'ont pas eu ce choix.

Tous les mots sont importants dans " idée d'apprendre le français"

- l'idée  : ce qu'on a dans la tête, ce que cela génère de représentations en nous, de rêve, une idée, une possibilité, pas forcément réaliste, quelque chose de difficilement définissable mais qui nous importe.

- d'apprendre : apprendre, aller à l'école quand on n'a pas eu le choix d'y aller. Progresser, sortir de sa condition de départ pour évoluer, enregistrer des savoirs, des compétences.
L'être humain se caractérise par sa capacité d'apprendre indéfiniment, dans tous les contextes et d'adapter son savoir aux circonstances.

- le français. Elles vivent en France, elles n'ont pas toujours choisi mais c'est chargé de représentations. Quelle idée s'en fait-on ? Parler cette langue, se débrouiller à l'oral, savoir lire des documents, des panneaux, faire des démarches, comprendre ce qui est écrit sur une boite de conserve.
On a toujours ce Graal à atteindre, quand on vit dans un pays étranger : celui de connaitre la langue qui nous entoure. Etre comme les autres et être autonome dans ce brouhaha de sons et cette jungle de lettres et de mots. Communiquer avec ce langage, sortir de son isolement, donner un autre sens à cette migration ?

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